Ma chère Tétou,
Il y a un peu plus de 33 ans aujourd’hui, tu devenais grand-mère pour la première fois. Et c’est moi, Sarah, qui t’appelais la première fois « Tétou ». Pourquoi « Tétou » ? Parce que je suis née au Caire, en Égypte, et c’est ainsi qu’on appelle nos grands-mères. Puis sont arrivés Myriam, Soundouce, Mehdi, Yaëlle, Rachel et enfin Marwane. Et tu es devenue la Tétou de nous tous.
Sept petits-enfants dont tu t’es occupée avec tant de soin, même quand tu travaillais encore aux urgences comme infirmière, et même après ta retraite – qui, pour être honnête, n’en était pas vraiment une, car tu courais toujours à droite et à gauche. Sept petits-enfants… comme les sept jours de la semaine. Et puisque Dieu a créé le monde en sept jours, je ne pense pas que ce soit une coïncidence. Comme Dieu a créé le monde, tu t’occupais de nous avec la même énergie, et surtout avec le même amour.
Tu arrivais à tout jongler : garder Yaëlle et Rachel la semaine, les mercredis chez les Belkheria, le jeudi et le vendredi chez nous pour t’occuper de Sousou et soulager un peu maman, et le reste de la semaine pour nous amener à toutes nos activités diverses et variés… Toujours à l’heure, toujours organisée, toujours impeccable. Tes cheveux toujours bien coiffés en sortant du salon, tes habits repassés, la maison impeccable… Une vraie Suissesse, en fait ! Je me souviens que papa disait : « Quand on va chez Tétou, on a l’impression qu’on ressort plus propres que quand on est arrivés ! »
Quand maman partait en voyage, papa et moi étions presque contents, parce qu’on savait que tu allais t’occuper de nous. Et papa savait surtout que ses chemises allaient être repassées à la Tétou ! Je ne sais pas ce que tu avais dans ta lessive… juste de la magie.
Quand j’étais petite, le vendredi était mon jour préféré, parce que tu venais me chercher à l’école pour m’amener au piano, toujours à 16h30 pile, avec une viennoiserie – suisse, évidemment. Tu avais une solution à tout. Et même quand il n’y en avait pas, tu avais toujours les mots pour nous remonter le moral et nous apprendre toujours à voir le verre à moitié plein.
C’est ça aussi que tu incarnais : la chaleur, la positivité. Tu m’as appris à toujours voir le beau et le bon de ce monde. Tous les jours, je pense à toi en admirant la nature et les montagnes que tu aimais tant… Que ce soit un rayon de soleil, l’odeur des feuilles ou celle de la pluie. Tu m’as appris à remarquer les détails que beaucoup ne voient plus. Et tu me répétais souvent : « Tu sais, beaucoup de gens n’ont pas la chance qu’on a. »
Grâce à toi, nous avons appris à voir ce qu’il y a de beau dans le monde, mais aussi chez les personnes. Tu nous as appris à aimer, et à aimer fort, de tout notre cœur, de manière inconditionnelle. J’ai compris bien plus tard que c’était quelque chose de rare, que peu de personnes savent vraiment faire : aimer avec patience, résilience et sans condition.
Je me souviens d’une phrase que tu m’avais écrite un jour :
« L’amour suppose la nécessité absolue d’échange, de dialogue, de remise en question, de patience, d’humilité, de confiance et surtout d’un grand esprit de pauvreté intérieure. C’est l’amour de Dieu qui vous donnera la possibilité de vous regarder avec le regard même de Dieu, de vous comprendre avec l’esprit même de Dieu et de vous aimer avec le cœur même de Dieu. »
Tu m’as appris à aimer chacun, peu importe son milieu, ses différences de culture ou de religion. Notre famille ressemble presque au film Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, avec nos différences religieuses et notre mixité culturelle. Je me souviens de nos discussions, quand tu venais me chercher à la mosquée : de longues conversations sur la religion, sur ce qui nous ressemble malgré les quelques différences, qui a nos sont insignifiantes. Tu avais cette capacité rare de bâtir des ponts là où d’autres voient des murs. Et aujourd’hui, dans un monde où les murs s’élèvent, où les extrêmes grandissent, cette qualité devient plus précieuse que jamais.
On nous demande souvent : « Mais dans votre famille, avec toutes ces différences, ça ne pose pas de problème ? » Et on est tous tellement fière de pouvoir répondre : « Absolument pas. Bien au contraire. »
Aujourd’hui, en tant qu’aînée, j’ai l’honneur de porter notre voix collective. J’ai demandé à chacun de mes cousins de me partager ce qu’ils retenaient de toi : ce que tu nous as transmis, les valeurs que tu incarnais à nos yeux, et les moments qui les ont le plus marqués.